Musée Middelheim - Experience Traps
01.06 – 23.09.2018
À l’occasion d’Experience Traps, le Musée Middelheim accueille un groupe d’artistes particulièrement fascinants inspirés par les idées novatrices du paysage baroque. L’approche à la fois personnelle et diversifiée des seize artistes ou collectifs participants s’exprime dans des sculptures architecturales, des installations et des performances qui font appel à tous les sens. Souvent réalisées spécialement pour ce projet, les œuvres sont disséminées dans tout le parc du musée et à quelques endroits de la ville.
Le jardin baroque — ainsi que les motifs et les interventions qui devaient faire de cette visite une expérience particulière — a constitué le point de départ des discussions. Chacun des 16 artistes a apporté ses propres contenus et interprétations : ils contribuent souvent à l’exposition avec plusieurs œuvres qui peuvent être interprétées comme autant d'éléments du paysage baroque. Mais surtout, chacun d’entre eux a associé le patrimoine baroque à une réflexion pointue sur l’époque contemporaine.
Une période de turbulences
À l’époque baroque (de 1600 à 1730 environ), les pouvoirs religieux et laïques se livrent une concurrence féroce. On assiste parallèlement à l’essor du commerce mondial et à l’apparition d’une culture citoyenne bien marquée. Le baroque devient ainsi une période de crises sociales profondément ancrées : le quotidien est rythmé par les guerres (de religion) et l’Inquisition, mais aussi par la famine, l’exode rural et la peste. Contraintes de renforcer leur position dominante et de réprimer les velléités de révolte, les classes supérieures ecclésiastiques et laïques cherchent des moyens qui leur garantissent la maîtrise des comportements humains. Ainsi, l’art de commande s’avère un outil d’une efficacité redoutable : une forme d’art rationnelle qui peut être exploitée pour orienter et influencer les citoyens et la société.
Aujourd’hui encore, le terme de « contrôle » s’entend dans un sens très large. Spécialistes du marketing, décideurs politiques, stratèges en communication et experts en réputation mettent tout en œuvre pour maîtriser et manipuler les rapports complexes entre la politique, l’économie, la société et les médias. Même à l’échelle individuelle, nous ne laissons rien au hasard sur les réseaux sociaux.
« L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit. »
- François de La Rochefoucauld (1613-1680), écrivain français
Et quel est le rôle réservé à l’artiste dans tout cela ? De manière empirique, il peut confronter le visiteur aux sentiments de sécurité et d’impuissance et réfléchir aux besoins qui sont les nôtres en la matière.
À travers Diamond Shaped Room With Yellow Light, Bruce Nauman s’intéresse à la marge dont nous disposons réellement pour exercer de l’influence. Ce qui commence comme une aventure engageante et ludique vire très rapidement à la frustration et à la désorientation.
En contrepied à cette expérience d’oppression physique, Mike Bouchet propose une réflexion sur l’influence de notre comportement en manipulant nos sens de manière invisible. Energy Fog utilise une odeur artificielle accablante pour nous sensibiliser à cette pratique commerciale très répandue.
Jardins
Dans le jardin, le profond désir de contrôle de l’homme apparaît sous un jour spécial. Car à l’échelle du jardin, l’homme semble capable de maîtriser le chaos de l’environnement. Il a la possibilité d’y contrôler la nature — et de faire étalage de cette aptitude.
Tour dans le jardin
À partir du XVIe siècle, les aristocrates font appel aux artistes et aux architectes pour saturer le jardin et le paysage d’effets spectaculaires. Le jardin baroque est une sorte de parc d’attractions avant l’heure où les visiteurs vont de surprise en divertissement. Son succès est directement proportionnel au degré d’artificialité qui y est intégré : labyrinthes aménagés, faune et flore spéciales et exotiques (cultivées en pots et en serres), grottes artificielles, trompe-l’œil, fontaines, systèmes hydrauliques qui font chanter des oiseaux mécaniques, fausses ruines, etc. . Les visiteurs sont constamment séduits et surpris.
Les artistes d’Experience Traps tendent chacun leur propre piège aux sens des visiteurs. Mais ils substituent à l’obsession de plaire des observations pointues sur nos jardins d’agrément contemporains.
Avec Birdcalls, par exemple, Louise Lawler transforme le pavillon Het Huis en une grande cage à oiseaux dans laquelle résonnent automatiquement — non sans ironie — les mêmes noms d’artistes. Les œuvres Stairs, Fence et Untitled de Monika Sosnowska peuvent être interprétées comme des ruines artificielles dont les éléments architecturaux caractéristiques tels que les escaliers, le béton et les clôtures sont dépouillés de leur fonctionnalité. La forme abstraite qui en résulte ouvre de nouvelles possibilités, suggère de nouvelles voies. Heaven and Earth, la construction brute d’Adrien Tirtiaux, évoque également les ruines. Mais sa coupole suspendue attire aussi notre regard vers le ciel : comme dans l’architecture baroque, les éléments du plafond et l’abside relient la grandeur des cieux à notre existence terrestre.
Les jardins baroques aristocratiques étaient exclusifs : pouvoir y pénétrer signifiait faire partie du monde (ce qui n’était pas le cas du petit peuple). À l’époque, on était prêt à faire un long périple pour participer personnellement à cette expérience, dont on parlait beaucoup. Cette démarche constitue une première forme de tourisme des jardins. Le jardin aristocratique devient une destination, un lieu social où les gens se rencontrent, partagent et échangent leurs expériences. On retrouve cette idée du jardin-théâtre, où les visiteurs se « promènent » et où chaque « arrêt » raconte une histoire, dans les œuvres d’Ulla Von Brandenburg et de Dennis Tyfus. Ces deux artistes ont créé une scène sculpturale où peuvent entrer les visiteurs et sur laquelle des performances sont organisées durant l’exposition. Von Brandenburg montre comment le trompe-l’œil du théâtre baroque crée d’immenses illusions pour les spectateurs privilégiés, qui pouvaient s’installer juste devant la scène. Les autres devaient se contenter de jeter un regard sur les coulisses, sur la mécanique de l’illusion. Folding House 2 de Monster Chetwynd s’ouvre également au monde comme une plateforme d’activités ou de performances.
Expériences acquises
Mais à la fin du XVIe siècle, un autre type de jardin gagne en importance. Avec l’essor des universités, le jardin botanique devient un lieu de partage des connaissances et de la science. Ce jardin-là est un lieu d’étude et d’expérimentation, où les visiteurs peuvent recharger leurs sens aussi bien que leur esprit. Car l’accumulation et le classement des connaissances sont aussi des moyens de maîtriser la vie et la société. Dans ce jardin botanique (inclusif, sur la base de coopérations et d’échanges de connaissances), on étudie les propriétés médicales des plantes, mais on accorde aussi une grande attention à leur classification.
Ce besoin croissant de compréhension des phénomènes naturels se traduit également par la fascination de l’époque pour les corps célestes. Dans Mars (sunrise), Spencer Finch met en relation cette soif de connaissances de l’époque baroque avec l’exploration contemporaine de la planète Mars comme refuge pour la vie sur Terre.
Deux en un
Le jardin de Pierre Paul Rubens (1577-1640), le plus grand artiste baroque anversois, présente des traces de ces deux modèles. Le jardin exclusif, conçu pour impressionner, et le jardin inclusif, inspiré du Cruijdeboeck (1554), le traité de botanique de Rembert Dodoens (1517-1585), publié par Christoffel Plantijn (1520-1589) à Anvers.
Le parc séculaire du Musée Middelheim résulte, lui aussi, de la combinaison d’un parc-jardin et d’un jardin botanique : il y a quelques dizaines d’années, l’Hortiflora était un exemple de jardin de l’époque de Rubens, avec des plantes du traité de botanique de Dodoens. À l’origine propriété privée, il est devenu, aujourd’hui plus que jamais, un espace social où les citoyens se réunissent pour se détendre, se rencontrer et admirer des œuvres d’art. L’artiste peut être le catalyseur de ces rencontres et alimenter les discussions. C’est d’ailleurs le point de départ du collectif Gelitin, dont l’œuvre Sculpture for a sculpture park invite chaleureusement le visiteur à la participation et à l’« activation ». Sans le visiteur, l’œuvre d’art n’est rien d’autre que de la matière. Son Arc de triomphe fait notamment référence aux arcs de triomphe décoratifs et aux portes des villes, par exemple la Porte d’Eau (Waterpoort) à Anvers, que Rubens a conçue en tant que scénographe ou architecte de la ville afin d’introduire de nouvelles perspectives dans le paysage urbain. En souvenir de ces embellissements urbains, Recetas Urbanas a créé une sculpture verte intitulée Montaña Verde (à interpréter comme une série d’arcs de triomphe en enfilade) sur la très grise place De Coninck en ville. Elle est décorée, par et pour les résidents et les visiteurs de la place, avec des herbes et des plantes inspirées des cultures que l’on trouvait dans le jardin de Rubens.
MOUVEMENT ET POSITION
L’art baroque a ceci de particulier qu’il approfondit une série d’innovations déjà introduites à la Renaissance. L’objectif de l’art de commande était d’aller plus loin, de générer un impact plus fort : le spectateur devait être remué de l’intérieur. Il devait se transformer en complice de l’œuvre d’art. La suggestion de mouvement est à ce point soulignée qu’elle provoque presque une sensation physique.
« Notre vie n’est que mouvement. »
- Michel de Montaigne (1533-1592), philosophe français
Les œuvres d’Andra Ursuta, par exemple, suggèrent très fortement la possibilité de mobilité. Bien qu’elles ne soient pas destinées à être touchées, elles démangent les membres des spectateurs. En refusant au visiteur cette décharge, l’artiste intensifie la tension entre le mental et le physique. C’est également le cas du chorégraphe et artiste visuel William Forsythe, qui entraîne le visiteur dans un labyrinthe mental avec ses instructions de mouvement complexes. À travers Underall, il fait référence aux changements constants et à l’instabilité auxquels sont confrontés les êtres humains, mais aussi à leur capacité à apprendre à y faire face. L’entrelacement de motifs sonores dans l’œuvre A (6ch version) de Ryoji Ikeda mélange des tonalités baroques et contemporaines dans l’espace du pavillon Braem. Les vibrations invitent à une perception ludique : en se déplaçant rapidement ou lentement à travers le pavillon, le visiteur peut faire l’expérience directe de la manière dont l’histoire et le présent se rencontrent.
Les fontaines occupent également une place importante dans l’architecture (de jardin) baroque. Car l’eau offre une parfaite métaphore du caractère vivant, changeant et tourbillonnant de la nature. Mais d’ingénieux systèmes hydrauliques permettent aussi aux esprits créatifs de chorégraphier ce mouvement. L’écheveau de tuyaux d’arrosage de Fountain, l’œuvre de Bertrand Lavier, en est une interprétation humoristique et haute en couleur ainsi qu’un salut au petit jardinier.
Cette exposition se compose donc d’interprétations à la fois optimistes et pessimistes de notre condition humaine contemporaine. Dans son ensemble, EXPERIENCE TRAPS se veut une réflexion nuancée sur la société et l’économie de l’expérience contemporaines dans lesquelles nous sommes entraînés et dont nous attendons constamment des expériences uniques. Nous nous laissons guider par des constructions complexes d’« authenticité » et de « storytelling » et tentons de nous positionner par rapport aux autres — par exemple par le biais des réseaux sociaux.
La version gonflable et accessible au public de Stonehenge se répandra comme une traînée de poudre sur Facebook et Instagram. Sacrilege est une œuvre de Jeremy Deller qui, selon ses propres termes, souhaitait créer une interaction entre un grand groupe de personnes et un objet monumental.
Tout comme ce « sacrilège », l’exposition — à la fois révélatrice et captivante — provoquera une expérience particulière chez ses visiteurs.
Informations pratiques
- 1er juin au 23 septembre 2018
- Musée Middelheim
Middelheimlaan 61 - 2020 Anvers, Belgique
+32 3 288 33 60 - middelheimmuseum@stad.antwerpen.be
- Entrée gratuite
- Heures d’ouverture: mai et août: 10 – 20h / juin-juillet: 10 – 21h / septembre: 10 – 19h / les visiteurs sont admis jusqu’à une demi-heure avant la fermeture.
Fermé le lundi.